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La Balade méditative de Marc-Antoine Mathieu

Deux ans après Le Décalage, Marc-Antoine Mathieu revient avec Le Sens, un album intégralement muet faisant suivre des milliers de flèches à un personnage errant dans un désert anormalement vide. À l’occasion de l’ouverture de l’exposition consacrée à l’album à Paris et à quelques jours du vernissage des 300 m² de l’exposition bruxelloise, l’auteur revient sur la genèse du projet ainsi que son double travail sur l’album et l’exposition.

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Quelle a été la genèse de ce double projet, l’album et l’exposition ?

Le projet est né avec la galerie Huberty Breyne qui m’a proposé, il y a 2 ans, une exposition mettant en scène des dessins réalisés pour l’occasion. J’ai commencé par refuser, parce que je suis un dessinateur, certes, mais de manière annexe. Je me vois d’abord comme un raconteur d’histoires, un expérimentateur.

Plus tard cette idée m’est revenue : je me suis dit que le dessin en série pouvait créer une histoire dessinée, intégralement muette. Peu à peu, Le Sens a pris la forme qu’il a aujourd’hui.

Pourquoi revenir à la narration muette ?

Je n’avais pas vraiment l’idée de « revenir au muet ». 3’’ par exemple, mon précédent album sans bulles, est certes muet mais pas « sourd », il y a du texte ça et là. Ici la démarche est totalement différente : créer une balade méditative, créer le vide. C’est un peu un anti-3’’en fait.

Travailler sur ces nouveaux formats en vue de l’exposition, ça ne vous a pas donné envie de vous essayer à d’autres techniques artistiques ?

L'une des sculptures de bronze de l'exposition

L'une des sculptures de bronze de l'exposition


J’aime beaucoup expérimenter et travailler sur les formes. L’exposition de Bruxelles met en scène Le Sens d’une autre manière, avec notamment des vidéos et des sculptures, et propose un parcours proche de celui de l'album.

Pour moi, c’est souvent une nouvelle manière d’aborder un récit qui va me contraindre à visiter d’autres manières de le rendre. Mon dessin est au service de mon récit. Je ne recherche pas spécialement d’esthétique particulière pour mes histoire. Même si une esthétique finit par apparaître pendant que je travaille sur l’album, elle ne sert pas de base à mes histoires.

Comment s’est faite l’esthétique du personnage ?

Comme beaucoup de mes personnages, il avance masqué à la manière de Julius-Corentin Acquefacques par exemple. Ce personnage de Sens, c’est un peu le grand-père de Julius, qui est en fait un personnage un peu vide, un peu creux, sans réelle psychologie. C’est un objet qui permet au lecteur de suivre le récit et éventuellement de s’y identifier, mais son existence et son identité en tant que telles n’ont que peu d’importance. Il pourrait presque sortir de chez Kafka en ce sens.

Littéralement d’ailleurs, le personnage de Sens et Julius se protègent, portent des chapeaux, qui sont aussi des masques pour moi, des masques du « cerveau », de la psychologie du personnage. Le chapeau du personnage de Sens a le même rôle que celui de Julius ou que ses lunettes, cachant son regard, son identité.

Pourquoi ce vieillissement progressif du personnage autour de la fin de l’album ?

Le personnage n’évolue pas exclusivement vers la fin, il évolue tout au long du récit, mais de manière plus imperceptible. C’était intéressant pour moi de parler de la finitude. J’ai hésité à terminer l’album de cette manière, mais je l’ai finalement fait.

On peut se dire qu’il y a de très nombreux épisodes de l’errance du personnage qui ne sont pas racontées dans l’album : au lecteur de se faire sa propre idée sur ce qu’il a pu vivre pendant ces vides volontairement laissés.

Pourquoi travailler avec une case par planche ?

M’imposer le cadre extrêmement contraignant de l’A4 me permettait d’abord de créer une sensation de vide beaucoup plus immersive qu'avec une disposition de cases classique. Ensuite, l’A4 m’aide à rendre visuellement l’errance du personnage, tout en dégageant une certaine sérénité. C’est en tous cas ce que j’ai ressenti en dessinant.

Ça m’a aussi aidé pour la fluidité de la lecture : quand on travaille d’après un point de vue un peu radical, on est forcément porté à travailler l’harmonie de la lecture, pour que le lecteur puisse s’y glisser naturellement.

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